LE CHATEAU DE CHATENOIS


ORIGINE - HISTOIRE - DESTRUCTION - TENTATIVES DE RECONSTITUTION. AUTRE RESTITUTION


ORIGINE

   Dans sa "Notice historique sur Châtenois" (1888), Julien Bastien, alors instituteur du village, écrit que "le château et le comté de Châtenois remonteraient au moins à [l'an] 950".
   Pour l'affirmer, il s'appuie sur des "ouvrages ou documents qu'il a eu entre les mains" (sans préciser lesquels), affirmant que "[...]notre localité faisait partie de la Haute Lorraine ou Mosellane , que les ancêtres de Gérard d'Alsace étaient ducs de ce pays et résidaient à Longcastre ou Longwy, laissaient aux cadets pour apanage le comté de Castinach ou Châtenois, avec le château pour résidence".
   Lors des "Journées d'études vosgiennes" qui se sont tenues à Châtenois les 27, 28 et 29 octobre 2006, le professeur Gérard GIULIATO a exprimé l'hypothèse selon laquelle le château fut édifié entre 1048 et 1070 (1070 étant l'année du décès de Gérard d'Alsace).
   Au sujet de Gérard d'Alsace, on peut lire, dans "La Lorraine des ducs", d'Henry BOGDAN (éd. Perrin, 2013) que l'appellation "Gérard de Châtenoy" s'explique (je cite) "par le fait qu'il possédait un château situé non loin de Neufchâteau, à Châtenoy (sic) précisément, et où il effectuait de fréquents séjours".

    Il existe bien peu de documents permettant d'imaginer à quoi ressemblait ce château fort. Julien Bastien écrit ceci :

Il nous a été impossible de trouver une description du château de Châtenois. Dans les comptes de réparations faites à diverses reprises, il est question d'une tour ronde servant de prison, d'une tour carrée où l'on mettait encore parfois des prisonniers et sous laquelle se trouvait un cellier qui fut "admodié" en 1580. Les mêmes comptes mentionnent aussi une prison basse, une chapelle ducale , qui subsista après la ruine du château et fut encore réparée en 1667, enfin deux ponts-levis .
Combinant ces indications avec celles du procès des halles en 1741 , nous pouvons, la topographie aidant, donner une idée de l'ancienne place forte du Haut-Bourg. Le château se trouvait sur la pointe escarpée, à l'est . Une tranchée, occupée actuellement par le chemin du Larron, rendait ce côté inaccessible.
A l'ouest du château, et sur la tranchée autrefois plus profonde (mais comblée par le temps et la culture du jardin) qui commence en haut du sentier dit "la rampe de fer", se trouvait un pont-levis établissant une communication entre le château et la place située au-devant.
Cette place était limitée à l'ouest par une autre tranchée (ci-contre : ce qu'il en reste...) parallèle à la première, également comblée en partie (allant du guéoir au sentier des vignes) et à laquelle on arrivait du dehors par un pont-levis. La terre provenant de cette tranchée avait été rejetée du côté de la place pour établir une redoute dont la crête était formée par un mur . La dite place comprenait, outre les dépendances du château, plusieurs maisons particulières, un four banal, un pressoir, la halle au nord "entre deux maisons près d'une croix et d'un puits", puis une place d'armes à l'ouest.
Le tout était entouré de murs, que les habitants du Haut-Bourg réparaient et entretenaient . et dont l'existence est attestée par plusieurs vestiges retrouvés par des particuliers, et par le chemin dit "derrière les Muches". Les maisons du Vieux-Bourg formaient comme une seconde enceinte, du côté de Châtenois.


HISTOIRE

   Peu de choses sont rapportées par Julien BASTIEN, quant à l'histoire propre de la forteresse. Il écrit qu'il "faut bien admettre que le château de Châtenois a réuni plus d'une fois nombre de fidèles guerriers, au sujet des expéditions préparées contre les vassaux rebelles, et à l'occasion de fêtes données à leur retour et des réceptions faites en diverses circonstances". Le duc Mathieu 1er (1136-1179) fit de Nancy la résidence des ducs de Lorraine, et le château "resta la demeure des châtelains qui furent en quelque sorte les intendants des propriétaires ou viagers de la châtellenie".
   Gérard GIULIATO, lors de sa communication durant les "Journées d'étude vosgiennes", en 2006, précise que les murailles furent gravement endommagées lors de la guerre contre les Bourguigons, en 1488 : le duc ordonna leur relèvement (archives départementales des Vosges, HH2, supplément E) aux habitants du bourg. Le château n'était donc pas un simple "rendez-vous de chasse" : son existence préoccupa suffisamment la royauté française pour que celle-ci ordonne la destruction de la forteresse, pendant la guerre de Trente Ans.


RICHELIEU, LE PRINCE DE CONDE, LES SUEDOIS : LA FIN DU CHATEAU DE CHATENOIS (1634)

   Avant son annexion à la France, en 1766, la Lorraine subit longtemps les influences conflictuelles de la France, du Saint Empire Germanique, et du duché de Bourgogne; bien que Charles Quint l'ai déclarée "état libre et non incorporable" (1532).
   Pendant la guerre de Trente Ans (qui commence en 1618 par la défenestration de Prague), le duché de Lorraine allait subir les conséquences des choix politiques des ducs de Lorraine; en effet, J. Bastien nous rappelle que ceux-ci, "dont les ancêtres s'étaient alliés à des princesses autrichiennes, avaient plus de sympathie pour l'Autriche, pendant la guerre de Trente Ans contre Richelieu.
C'est l'époque du premier siège de la Mothe par les français, du ralliement des fédérés lorrains au chêne des partisans, de la soumission de la Lorraine par Richelieu sous Louis XIII. La tentative du duc pour la reprendre mis le comble à la haine des ennemis de la Lorraine (1634). Les ravages et les massacres exercés par les français et leurs alliés suédois, allemands, croates, et surtout par les troupes sanguinaires du duc de Weimar, qui n'épargnaient guère que les femmes et les enfants , une famine qui porta le prix du résal de blé de quinze à soixante livres, une peste affreuse dépeuplèrent et ruinèrent la Lorraine. Le château de Removille fut détruit par les suédois, Balléville conserva des traces de leur passage. Châtenois ne fut pas épargné".
   Le prince de Condé, le 10 mai 1634, ordonne "de faire démolir promptement et de fond en comble et jusqu'aux fondements les murailles, portes et portaux des villes et châteaux de Neufchâteau et Châtenois en sorte qu'il n'y restât pierre sur pierre, et aux dépens des habitants des dits lieux et prévôtés".(J. BASTIEN).
   Selon G. GIULIATO, la consultation des archives départementales (6H 11, folio 1) révèle "la médiocrité du mur primitif" : "les ruines et débris de muraille et les contours d'icelles sont si peu de choses que lesdits religieux n'en ont encore rien tiré sinon quelques pierres pour aider à parer leur église et rebâtir celle de Longchamp" (extrait d'un acte d'accensement, 1715). Au moment d'établir ce document, il s'était quand même écoulé quatre-vingt ans, depuis l'offensive des Suédois : d'autres s'étaient-ils servis, dans le tas de ruines ?

TENTATIVE de RECONSTITUTION - 1

   Malgré le manque d'informations, au début du vingtième siècle, et grâce aux efforts de l'abbé Tresse, alors curé de Châtenois, un plan et une élévation du château furent dessinés et publiés dans le bulletin paroissial, en 1932. Voici ces images, telles que les réalisa M. Pierre Dié MALET, iconographe résidant à Nancy ; bien que leur auteur s'en défende, elles correspondent, aux yeux des spécialistes de l'architecture médiévale, à une vision très "romantique", bien éloignée de la réalité :
(publication du bulletin paroissial, Châtenois, juin 1932.)

 

Pierre DIE MALET écrivait, dans ce même exemplaire du bulletin paroissial de 1932 :

"Il reste du château et du bourg fortifié de Châtenois : l’emplacement général, quelques maisons, des jardins, des murs, deux puits publics, une fort intéressante et fort belle croix des XIVéme et XVIIéme siècles, les traces bien nettes d’un vaste fossé de défense à l’ouest du bourg, l’emplacement à peine marqué d’un fossé peu large qui contournait au sud, à l’est et au nord le mur d’enceinte du château (ce fossé devait être alimenté par le déversoir des eaux usées de la place : ce déversoir appelé « La Goulotte » est encore très visible dans le seul pan de mur encore debout du château).
[Photo : c'est toujours vrai en 2002 !]
Ensuite, de place en place, en suivant le bord du plateau, on remarque des éboulis de maçonnerie qui indiquent que là furent des tours. En plus des vestiges précités, on peut glaner quelques renseignements dans le cartulaire du prieuré bénédictin Saint Pierre de Châtenois, conservé aux archives départementales des Vosges à Epinal, notamment pour ce qui concerne la chapelle du château et les halles. Enfin, en plus des traditions conservées par les habitants du lieu, on peut consulter l’histoire de Lorraine et la notice de Lorraine de Dom Calmet, et on trouve diverses confirmations des traditions dans le plan cadastral conservé à la mairie de Châtenois et levé par le géomètre Grevosier en 1832."

Il se défend d'avoir "laissé courir son imagination", et précise qu'il connaît "bien les châteaux et les bourgs lorrains de Rambervillers, Deneuvre, Moyen : ce sont, je n’en doute pas, des constructions identiques, à peu de choses près, aux constructions du château et du bourg de Châtenois. Je possède des gravures des châteaux et places fortes de Blâmont, Vaucouleurs, Neufchâteau, Vaudémont. Ces documents, et l’étude sur place des vestiges et des textes énumérés plus haut, m’ont permis d’établir, du moins je l’espère, et malgré mon oubli de la géométrie et mon absence de science cartographique, deux documents vraiment sérieux."


TENTATIVE de RECONSTITUTION - 2

   Après lecture d'un certain nombre publications et ouvrages sur les forteresses médiévales -et sans vouloir rivaliser avec les spécialistes du domaine- je me suis demandé à quoi pouvait ressembler ce château disparu... A partir du plan mentionné ci-dessus, et avec un peu de logiciel d'infographie, on peut obtenir cette image (je suis loin d'avoir terminé ce travail, aussi certaines tours sont-elles encore "découronnées", et le terrain alentour dans un état assez... surprenant !) :


Toutefois, si l'on compare cette image avec celle ci-dessous, qui représente le château du comte de Vaudémont (sur la célèbre colline de SION), disparu lui aussi, image

que j'avais empruntée au site de Michel JACQUOT, (ce dessin , m'a-t-il dit, serait de la main d'un certain Jean GALLIOT ), je suis frappé par l'extrême similitude de plan des deux forteresses : même éperon barré, même partie "seigneuriale" avec le donjon (à Sion : la tour dite de Brunehaut), poterne placée sur le même côté, sortie principale de l'enceinte au même endroit... Est-ce que le château d'un duc, même s'il habitait Nancy, pouvait être moins imposant que celui d'un comte ? Possible... mais j'ai un peu de mal à le croire !


RESTITUTION selon les archives
[Janvier 2020]

- Le plan & l'élévation de Pierre DIE MALET, réalisés dans les années 30, et les maquettes dérivées de ce travail sont fort belles, mais peu réalistes ;
- au XIéme siècle, la "grosse tour" (ou "tour maîtresse", le terme "donjon" n'était pas utilisé à cette époque) était, à coup sûr, de section rectangulaire (comme celle du château de Loches).
- En raison de la facilité (prix) de construction, le plan carré a dû être assez utilisé pour d'autres tours de l'enceinte.
- Toutefois, les archives citées par G. GIULIATO (arch. dép.Meurthe & Moselle, B 4483 folio 99, 1580) font bien état d'une "tour ronde toute de taille qui sert de prison" qui aurait été située à proximité de la tour maîtresse, donc dans le secteur sud du château ducal.
- Gérard GIULIATO place la "grosse tour" dans le périmètre de l'enceinte du château (à partir de sa lecture détaillée du peu d'archives qui reste) ; lors de sa conférence à Châtenois, en 2006, il mettait en doute la nature pierreuse de la muraille d'enceinte autour du Haut-bourg et suggérait qu'elle fût en bois. Entre le moment de la construction et la destruction de cette enceinte, durant la guerre de Trente Ans, la pierre a pu remplacer le bois. Ainsi, en 1581 (arch. dép. Meurthe et Moselle, B 4486, folio 90), il est rapporté que des travaux "permettent de rempietrer la grosse muraille du dit chastel". Pourtant, dans l'ouvrage intitulé "Journées d'études vosgiennes" (page 126, note de bas de page n°43), on lit : "les ruines et débris de muraille et les contours d'icelles sont si peu de choses que lesdits religieux n'en ont encore rien tiré sinon quelques pierres pour aider à parer leur église et rebâtir celle de Longchamp" (acte daté de 1715). Pas beaucoup de pierre, soit… à moins que d'autres, plus rapides, en aient profité, entre 1634 et la rédaction de ce document ?
- le groupe de maisons du Vieux-bourg (à droite sur le plan ci-dessous, actuelle rue Edwige de Namur) n'existait probablement pas au moment de la construction du château. Cette vue a été en partie redessinée sur le plan de P. DIE MALET.

 

Possible vue aérienne du château de Châtenois
(inspirée des travaux de G. GIULIATO)


- La chapelle du château : G. GIULIATO la positionne attenante au logis seigneurial, adossée à la muraille sud. Or, des documents des archives départementales attestent de travaux d'entretien de cette chapelle bien après la destruction du château (1667 selon la notice de J. BASTIEN). Les murailles du logis seigneurial ayant été abattues, est-ce que la chapelle aurait résisté à une telle démolition ? Nous la plaçons donc dans la pointe est de l'enceinte.



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